lundi 23 mars 2009

anonymat

S'il est une chose qui a longtemps pesé dans ma vie, c'est l'anonymat qui me caractérisait.

Je connaissais suffisamment de personne, et personne ne me connaissait suffisamment.
J'avais pourtant des amis, à l'époque, mais pouvaient-ils affirmer qu'ils me connaissaient ? Certainement pas ! C'est probablement l'une des raisons qui m'ont ensuite attiré vers les grandes villes, car en leur sein, mon anonymat trouvait un sens, puisqu'il se melait à celui des autres.

Lorsque vous arrivez dans une ville comme Paris, vous passez obligatoirement par un schéma que d'autres ont éprouvé avant vous.

Lorsqu'on vous demande de l'argent la première fois, vous vous surprenez à prendre en pitié cette pauvre âme que la vie a malmenée jusqu'à la jeter sur les trottoirs et la pousser à la mendicité.

Après tout, qu'est-ce qui vous distingue de l'être en haillons qui vous fait face, sinon l'aléa qu'il l'a fait tomber socialement pendant qu'un aléa contraire vous élevait ?
Vous avez donc une boule au ventre en sentant son odeur âcre, cette odeur caractéristique que les bouches d'aération du métro lui ont laissé sur le corps comme une marque au fer rouge, et vous voila tendant quelques centimes, pour faire un geste, parce que ce pourrait être vous.

Au bout de quelques jours, vous comprenez que la mendicité est à paris ce que la prostitution est aux pays de l'est : un business.

Et voila qu'au bout d'une semaine, vous ne les voyez plus.
Les traits s'estompent, leurs faces s'effacent et leur humanité meurt pour laisser la place à des ombres mouvantes sans visage, polymorphiques et pourtant toujours identiques, puisqu'elles vous sont anonymes et étrangères.

Elles prennent les traits de "l'autre", celui dont on ignore tout et dont on ne souhaite rien connaitre. Vous êtes désormais comme elles : des éléments mouvants associés dans un schéma supérieur qui vous dépasse et vous ôte tout individualisme.
Vous êtes un élément de la ville, un parmi tant d'autres.

Vous êtes un anonyme, et bien que vous ayez toujours eu le sentiment de l'être, vous n'en prenez réellement conscience que parce que cet anonymat vous saute à la gorge, vous étouffe, vous contraint... Et pourtant vous restez...

C'est un peu le sentiment que j'ai aujourd'hui, lorsque je marche dans le métro.
Je ne reconnais aucun visage, et je n'ai même pas envie d'en reconnaitre.

J'imagine que c'est pour chacun pareil, et bien que l'existence m'apparaisse alors emplie d'un inégalable pathétisme, je n'imagine pas pouvoir vivre ailleurs, parce que cette ville, je l'ai choisie, et si elle exige de moi l'anonymat le plus abouti, je ne le lui refuserai pas car je suis à elle, et elle me le rend bien...

2 commentaires:

  1. Vision très interessante et crevante de réalisme...

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  2. merci, je l'ai écrit en me rendant compte l'autre jour qu'en un aller/retour, plus de 10 personnes m'ont demandé de l'argent, et que je ne me rappelait pas d'un seul de leurs visages...
    c'est presque effrayant lorsqu'on y pense...

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